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« L'Adaptation dans tous ses états » - Colloque ERIBIA[1] et ERLIS[2]
MRSH, Université de Caen Normandie - 6 et 7 octobre 2023
vendredi
9h-9h30 : Adaptations cinématographiques (1) (présidence de séance : Nicolas Mollard)
Est-il nécessaire de présenter Federico García Lorca, polygraphe espagnol, exécuté par les nationalistes quelques jours après le soulèvement militaire de 1936 ? Est-il nécessaire de présenter sa dernière œuvre, La Casa de Bernarda Alba, qui met en scène le drame à la fois familial et social que vivent 5 jeunes femmes en proie à la tyrannie de leur mère -Bernarda- qui au nom de la tradition et pour ne pas donner matière au qu’en-dira-t-on oblige ses filles à respecter le deuil de leur père pour une période de 8 années ?
Depuis 1945 ? date à laquelle la pièce de théâtre a été publiée de façon posthume pour la première fois, ce grand classique de la littérature espagnole du XX e siècle a suscité l’intérêt de metteurs en scène et de réalisateurs, espagnols comme étrangers, au point d’avoir été adapté, un nombre de fois incalculable, à la scène, à la télévision, au cinéma.
Qu’apporte de plus l’adaptation filmique d’Emilio Ruiz Barachina en 2018 ? En quoi s’oppose-t-elle à l’œuvre originale ? En quoi la complète-t-elle ? Ruiz Barachina offre-t-il une nouvelle lecture du grand classique de Lorca ?
MCF en civilisation contemporaine de l'Espagne à l'université de Caen Normandie, Nadia Ait Bachir consacre l'essentiel de mes travaux aux médias - principalement presse et télévision - dans une perspective historique et identitaire. Sa thèse de doctorat était consacrée à la presse régionale espagnole au tournant du XX e siècle entre régénérationnisme et recherche identitaire et analysait plus particulièrement la presse en Estrémadoure entre 1899 et 1911.
Distancia de rescate (2014) de l’Argentine Claudia Schweblin, paru en France sous le titre Toxique (2017), est un roman court qui plonge immédiatement le lecteur dans une atmosphère où se mêlent thriller, fantastique et drame intimiste, sur fond d’apocalypse environnementale imminente. Le roman a été traduit en quatorze langues. Il a été porté au cinéma en 2021 par la réalisatrice péruvienne Claudia Llosa, et diffusé internationalement sous le titre de Fever dream.
Dans le roman, la voix dominante est celle d’une jeune femme, Amanda, mère d’une petite fille de sept ans, l’adorable Nina. Au moment où s’ouvre le récit, Amanda est en train de mourir. Une seconde voix, celle d’un garçon de neuf ans, David, petit aruspice effrayant, donne à son agonie le sens d’une quête implacable vers la compréhension de « ce qui importe ». De ce récit à deux voix émerge l’histoire de la singularité de David, dont la mère, Clara, double inversé d’Amanda, s’est détachée : elle se méfie de lui, lui attribue d’obscurs pouvoirs maléfiques. Cette mère torturée par le souvenir de ce que fut son enfant, désormais dénaturé, entretient avec Amanda des rapports de fascination réciproque traversés de brefs moments de répulsion. Elle voudrait, comme Amanda, posséder « sa propre Nina ». Les émotions violentes et complexes dominent le récit. Elles accaparent l’attention du lecteur, mobilisent sa sensibilité, le condamnent à se polariser sur les drames personnels, lui occultant ainsi la tragédie en cours, qui se joue à une tout autre échelle : l’empoisonnement des humains et des non humains, conséquence de l’agriculture agroindustrielle basée sur l’application intensive de pesticides. L’épicentre de cet «immobile fléau sur le point de s’abattre » se situe dans un territoire périphérique de la province de Buenos Aires, non nommé, mais les derniers mots du récit, tels une alarme stridente qui se déclenche, étendent leur rayon d’action jusqu’à la capitale argentine, et au-delà, jusque dans le monde réel et concret habité par chaque lecteur aux quatre coins de la planète. Celui-ci prend alors la juste mesure du leitmotiv porté par David, le mentor inflexible, dépourvu d’âme en apparence. Il est invité à comprendre – et à ce titre, l’acte de lecture constitue une expérience initiatique – que « ce qui importe », dans un contexte global d’effondrement de la biodiversité, est de pratiquer le relativisme perceptif. Amanda passe son temps à calculer « la distance de secours » à parcourir au cas où Nina serait menacée, mais sans varier jamais la distance focale, d’où un champ de vision étroit, limité, sans perspective. En nous initiant, avec les armes qui sont les siennes, à l’apprentissage du relativisme perceptif et aux enjeux liés à cette pratique salutaire, la littérature contribue à nous rendre plus combattifs vis-à-vis des responsables (en l’occurrence, le secteur agro-industriel) des catastrophes écologiques et sanitaires en cours et à venir, trop souvent invisibilisés.
La question que l’on peut se poser – qui motive la présente proposition de communication – est de savoir si cette dimension initiatique à vocation écologique est préservée par l’adaptation cinématographique du roman et quelles sont les mutations qu’elle subit.
Agrégée d’espagnol, Anouck Linck a suivi un cursus de lettres modernes, puis s’est spécialisée en littérature comparée à l’Université Paris III. Elle a soutenu en 2010 une thèse portant sur les résonances de la pensée scientifique dans le récit fantastique du XIXe et du XXe siècle. Depuis 2011, elle est MCF à l'université de Caen, où elle enseigne la littérature hispano-américaine, et membre du LASLAR. Elle a publié divers articles explorant le rapport science et fiction, ainsi qu’un ouvrage sur l’écrivain colombien Andrés Caicedo. Elle travaille actuellement sur les écofictions non dystopiques et les romans contemporains écrits par des femmes, majoritairement argentines et mexicaines.
En 2011 paraît Albert Nobbs, un film irlando-britannique réalisé par Rodrigo Garcia. Il est co-écrit, coproduit et interprété par Glenn Close. Au centre de l’affiche promotionnelle, l’actrice américaine, célèbre pour ses rôles dans Liaison fatale, Le Mystère Von Bülow, Mars Attaque! ou des séries à succès comme Damages ou The Shield, apparaît entre deux jeunes acteurs, sans maquillage, sous des traits de toute évidence masculins. Pour cette interprétation, Glenn Close se voit décerner le Prix de la meilleure actrice au Festival international du film de Tokyo. Le film lui-même fait l’objet de distinctions et de récompenses : les critiques soulignent « une performance d’actrice sidérante », « un rôle bluffant » ; « l’intelligence du propos, la mise en scène méticuleuse et l’interprétation stupéfiante de Glenn Close font d’Albert Nobbs une très belle réussite ». Comme on peut le constater, ce succès est notamment dû à la présence charismatique de l’actrice tenant le rôle principal.
Il est à remarquer toutefois que le statut adaptatif du film n’est guère mis en avant. La carrière de Glenn Close comprend des adaptations cinématographiques clairement identifiées car elles se greffent sur des textes universellement connus tels Les Liaisons dangereuses, La Maison aux esprits ou Le Monde selon Garp. Or, dans le cas qui nous intéresse ici, l’hypotexte n’est pas un classique canonisé. De ce fait, le nom de l’auteur du texte-source est négligé ; il n’est dès lors guère étonnant que la dimension adaptative du film soit passée quasiment sous silence.
L’histoire s’inspire pourtant d’une longue nouvelle intitulée elle aussi « Albert Nobbs », écrite et publiée en 1918 par l’écrivain irlandais George Moore. C’est sans doute ce qui justifie la contribution de l’Irish Film Board et la participation du romancier irlandais John Banville à l’écriture du scénario dont l’intrigue se déroule au XIXe siècle à Dublin où le tournage s’est effectué.
Evidemment, le passage d’un médium à un autre entraîne nécessairement un certain nombre de changements. En l’occurrence, il est intéressant de mettre en regard l’œuvre originale et sa variation, de mesurer les écarts entre l’une et l’autre, mais aussi de déceler ce qui a pu motiver un réalisateur et une actrice renommée à produire et tourner une version filmée de ce texte précis, oublié, méconnu, voire inconnu, presque un siècle après sa parution, tout en s'interrogeant sur la manière dont l'oeuvre est reçue et comprise au fil du temps.
Bertrand Cardin est professeur de littérature irlandaise à l’Université de Caen Normandie. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages:Neil Jordan, écrivain scénariste. L’imaginaire de la transgression (Peter Lang, 2022) ; Colum McCann's Intertexts: 'Books Talk to One Another' (Cork Univ. Press, 2016) ; Lectures d’un texte étoilé. ‘Corée’ de John McGahern (L’Harmattan, Paris, 2009) ; Miroirs de la filiation. Parcours dans huit romans irlandais contemporains (PUC, 2005). Il a dirigé la publication collective d’un numéro spécial du Journal of the Short Story in English: “The 21st Century Irish Short Story” (N°63, P. U. Angers, Autumn 2014). Il a également co-dirigé avec Claude Fiérobe, l’ouvrage Irlande, écritures et réécritures de la Famine (PUC, 2007) ; avec Sylvie Mikowski, Ecrivaines irlandaises / Irish Women Writers (PUC, 2014) ; avec Alexandra Slaby, un numéro spécial de la revue Etudes irlandaises : « Enjeux contemporains en études irlandaises. In Memoriam Paul Brennan » (N°40-1, P. U. Rennes, 2015).
11h-12h Adaptations cinématographiques (2) (présidence de séance : Nadia Aït Bachir)
La romancière érudite A.S. Byatt est considérée comme un pilier de l'establishment littéraire britannique et de ce fait son œuvre a souvent été adaptée à l'écran. L’année 2022 a vu la sortie du film Trois mille ans à t’attendre de George Miller, une adaptation de la novella « Le Djinn dans l'œil du rossignol » d’A.S. Byatt, publiée dans le recueil éponyme (The Djinn in the Nightingale’s Eye, 1994).
« Le Djinn dans l'œil du rossignol » est un texte consacré presque entièrement à la narration de contes, qui sont à la fois racontés et exposés au commentaire littéraire au moyen de passages d'analyse à l'intérieur du récit même, dont l'insertion est favorisée par le cadre d’un colloque de narratalogues. Le matériau du récit est ainsi très textuel, le méta-discours sur la narration étant aussi important que les événements des contes et du récit-cadre.
Le verre, un leitmotiv important dans l’œuvre byattienne, est exploité comme une métaphore pour l’acte de narration. « The Djinn » contient une méditation sur la nature du verre par Gillian Perholt, personnage central, qui à un moment-clé considère sa transparence trompeuse. De tels commentaires sur la nature du verre se retrouvent à plusieurs autres moments importants de l'œuvre byattienne. C'est le cas dans « Les chevilles de Méduse » : cette nouvelle de Byatt insiste beaucoup sur la vitre qui recouvre un tableau de Matisse dans le salon de coiffure où se déroule l'action de l'histoire, puis sur le bris des miroirs lorsque la protagoniste, Susannah, ne peut supporter son propre reflet dans la glace. Or, il est particulièrement intéressant de noter que l'adaptation cinématographique des « Chevilles de Méduse » de Bonnie Wright exploite le motif du verre, si bien que l’adaptation elle-même peut être lue comme un « miroir temporaire » (selon une expression de Byatt) dans lequel les clientes du salon de coiffure - le lieu insolite où le film a été montré - se voient elles-mêmes.
En ce qui concerne Trois mille ans à t’attendre, les questions auxquelles cette communication tentera de répondre sont les suivantes : comment, et dans quelle mesure, ce film prend-il en compte la nature intensément textuelle et méta-textuelle de la nouvelle de Byatt ? Peut-on considérer que le médium du cinéma est exploité métaphoriquement par le réalisateur ? Quels sont les compromis à faire, et quel en est l'effet ? S’agit-il en fin de compte d’un film d’action, ou pouvons-nous le comprendre autrement ?
Helen E. Mundler a étudié à l'université de Durham avant d'obtenir son doctorat à Strasbourg et son HDR à Nanterre. Elle est professeure associée à l'UPEC depuis l'année 2000. Elle a publié trois ouvrages critiques, Intertextualité dans l'Oeuvre d'A.S.Byatt (Paris, Harmattan, 2003), The Otherworlds of Liz Jensen : a Critical Reading (Rochester, New York, Boydell and Brewer, 2016), et The Noah Myth in 21st-Century Clifi Novels : Rewritings from a Drowning World (Boydell and Brewer, 2022). Depuis quelques temps elle s’intéresse aux adaptations cinématographiques de l’oeuvre d’A.S. Byatt et de Liz Jensen. Ses autres centres d’intérêts incluent le roman contemporain, la poésie, la traduction et les pratiques et théories de l’écriture créative. Helen E. Mundler a également publié trois romans ainsi que quelques nouvelles.
Mandingo (1975) de Richard Fleischer et 12 Years a Slave (2013) de Steve McQueen traitent tous deux de l’esclavage aux États-Unis mais de façons bien différentes : alors que Mandingo exalte sa cruauté tout en jouant d’un érotisme morbide, 12 Years a Slave se distingue par sa sobriété. Expliquer les différences entre ces deux adaptations pousse à considérer leur texte source qui révèle des enjeux et partis pris esthétiques aux antipodes l’un de l’autre : le premier est l’adaptation du roman éponyme de Kyle Onsott, alors que le second est celle du témoignage de Solomon Northup. Il y a donc d’une part le genre romanesque, qui se distingue par sa souplesse et sa plasticité, qui se trouve être propice à la violence complaisante, aux techniques immersives et à une construction rhapsodique, et qui transforme l’esclavage en matière à sensationnalisme. D’autre part, le témoignage se distingue par sa retenue, son discours factuel et chronologique, qui vise à dire et à dénoncer l’esclavage. Les enjeux de ces deux textes contraignent et imprègnent leur adaptation filmique, car bien que le cinéma soit un art ayant sa spécificité sémiotique, la substance du texte nourrit son adaptation et l’analyse de cette dernière permet de reconnaître, à travers l’usage de certains procédés filmiques et esthétiques, les caractéristiques du genre romanesque et du témoignage. Il s’agit alors de procéder à l’étude contrastive de ces deux films afin de comprendre comment ils ont été paramétrés par leur texte source dans leurs ressorts sémiotiques, esthétiques et idéels de telle sorte qu’il est alors possible d’identifier ce qui différencie le témoignage du roman par l’analyse de leur adaptation au grand écran.
Margaux Collin est en troisième année de Doctorat à l’Université de Reims. Elle travaille sur le traitement de l’esclavage dans les adaptations cinématographiques produites pendant la présidence d’Obama, à savoir Django Unchained de Quentin Tarantino, 12 Years a Slave de Steve McQueen et Birth of a Nation de Nate Parker.
14h-16h : L'adaptation à la scène (présidence de séance : Bertrand Cardin)
L'adaptation pour la scène britannique de textes classiques ou de romans à succès est fréquente depuis quelques années et ne semble donner aucun signe de faiblesse. Pour Mark Lawson, tandis que le roman évoque une dictature, sa dramatisation correspond à une démocratisation. Lawson fait en fait référence à la perte du contrôle exercé par la narration, quand le texte est adapté au théâtre et que le spectateur est libre de s'attacher au personnage de son souhait sur scène et que l'acteur s'approprie le personnage. Si ces deux points sont incontestables dans une représentation théâtrale, ils ne valent pas nécessairement quand on considère le texte de l'adaptation qui est le produit d'une lecture et donc d'un point de vue et d'une interprétation imposés par l'adaptateur. Nous étudierons le recentrage opéré par le processus d'adaptation dans Hamnet (2023), pièce signée par Lolita Chakrabarti qui reprend le roman du même titre de Maggie O'Farrell (2020), roman qui relate le décès du fils de Shakespeare, Hamnet, et ses conséquences sur la famille, en s'attachant particulièrement à la femme du dramaturge, Agnes, qui est la principale protagoniste. Nous examinerons les enjeux et les effets de cette adaptation produite par la Royal Shakespeare Company, par le biais de l'étude de son appropriation de la complexité narrative, du point de vue puis de la fin du roman.
Armelle Parey est professeure de littérature britannique à l'université de Caen. Sa recherche porte sur les fins narratives, la mémoire et les réécritures, adaptations et expansions narratives du passé et ses textes dans la fiction contemporaine de langue anglaise. Elle a ainsi dirigé ou co-dirigé plusieurs ouvrages collectifs et numéros de revue dont les plus récents sont Prequels, Coquels and Sequels in Contemporary Anglophone Fiction (Routledge, 2019), Adapting Endings from Book to Screen (Routledge, 2020 avec Shannon Wells-Lassagne) et Reading Ian McEwan's Mature Fiction: New Critical Approaches, PU de Nancy-Editions de Lorraine, 2020 avec Isabelle Roblin). Sa monographie sur la romancière britannique Kate Atkinson a été publiée l'année dernière aux Presses universitaires de Manchester.
Le roman Medusa (Seix Barral, 2012) de l’auteur asturien Ricardo Menéndez Salmón raconte l’histoire de l’artiste Karl Gustav Friedrich Prohaska depuis sa naissance en 1914 jusqu’à son suicide durant l’été 1962 dans sa 48e année. Photographe, cinéaste, peintre, dessinateur, Prohaska, personnage fictif, traverse une partie du XXe siècle et se fait le témoin de ses horreurs, mais aussi, à travers son œuvre, leur « notaire ». Ses films, ses photos et dessins attestent en effet que cela a bien eu lieu. Mais peut-on regarder impunément ? Qui est cet homme, instrument de la propagande nazie, qui fut le témoin de l’horreur ultime tout en revendiquant un principe de neutralité ? Et quel regard pouvons-nous nous-mêmes porter sur cet homme ? Doit-il être condamné ou remercié ? Est-il objet de dégoût ou de compassion ? Ces questions que pose la lecture du roman traversent également la pièce de théâtre Medusa, adaptation en catalan de Pablo Ley mise en scène par la compagnie barcelonaise la Virgueria. Mais l'exercice d'adaptation pose d'autres questions. Comment en effet évoquer sur un plateau de théâtre un personnage dont le premier élément de définition est d’être resté invisible toute sa vie ? Comment représenter scéniquement l’horreur sans méduser, dans cette tentation probable de passer de l’ekphrasis à l’image pure ? Quelle voix se chargera de la réflexion sur le Mal et nous ? Que devient encore sur le plateau une écriture qui génère à chaque page nombre d’images mentales ? Sous de nombreux aspects l’adaptation de Medusa à la scène relevait du défi.
Après une thèse de doctorat sur les biographies espagnoles contemporaines de Thérèse d'Avila et une série d'études sur son traitement hagiographique, Nicolas Mollard s'est tourné vers la littérature espagnole du XXIe siècle, avec un regard particulier sur le mouvement des auteurs dits "mutants" ou "génération Nocilla" et, en contrepoint, sur l'auteur asturien Ricardo Menéndez Salmón.
L’adaptation est intrinsèque à l’art chorégraphique. Pour exister et se diffuser, il se transmet de « corps à corps » en des incarnations uniques. Ainsi, les danseurs doivent trouver des solutions pour s’accorder au mieux avec la création originelle mais qu’en est-il lorsque la source, le « corps-créateur » et son environnement disparaissent ? Merce Cunningham s’est éteint en 2009, laissant derrière lui une œuvre colossale dont l’existence se poursuit à la rencontre des enjeux du XXIème siècle. Lors de performances, il convient d’étudier comment celle-ci s’adapte aux environnements « natureculturels » (Haraway) de cette période : les « artistes-passeurs » de cette œuvre s’attellent-ils à une reconstruction fidèle « au plus près de » ou au contraire, explorent-ils une approche « à partir de » en réponse aux défis d’une autre époque ? Dans quelle mesure leurs processus de (re)création sont-ils caractéristiques des enjeux de ce siècle ? Afin d’envisager des éléments de réponse, j’étudierai les reprises de la pièce de répertoire Beach Birds (1991), VACA (2022) d’Anna Chirescu qui questionne nos relations au vivant au temps de l’urgence climatique puis je me concentrerai sur le processus de transmédialité au cœur de Life : A Love Letter to Merce Cunningham (2022) de la compagnie circassienne Gandini.
Caroline Granger est Docteure en Études Anglophones et membre associé au laboratoire de recherches ERIBIA de l’université de Caen Normandie et au CRESEM de l’université de Perpignan Via Domitia. Sa thèse intitulée « À la rencontre de l’histoire culturelle et de l’écopoétique, une étude des torsions dans l’œuvre du chorégraphe Merce Cunningham » défend une approche transdisciplinaire qui lie le mouvement dansé de l’humain à son environnement natureculturel. Celle-ci est accompagnée d’un portfolio photographique qui témoigne de son intérêt pour le champ de la Recherche-Création. En 2019, elle reçoit une aide à la recherche doctorale de l’Institut des Amériques pour se rendre à New York et poursuivre ses travaux in situ. Ce « corps à corps » avec son sujet l'amène à mener des entretiens avec des danseurs et des chorégraphes ainsi qu’à participer à des ateliers et des projets artistiques.
Ce qu’on appelle « nouveau flamenco » n’est pas l’objet d’une « muséification » au sens où il serait pieusement conservé au titre d’un patrimoine, ce qui est la mission première des musées. Bien au contraire, il se veut en rupture avec toute la tradition antérieure, accusée de céder au « purisme », au souci de l’« authenticité », sinon à l’« essentialisme » et à la tentation « identitaire » andalouse ou, pire encore, « gitano-andalouse ».
Publié en 1996, réédité en 2010 et en 2021, le livre Alegato contra la pureza de José Luis Ortiz Nuevo marqua un avant et un après. Tous les flamencologues, du moins ceux qui ont pignon sur rue, lui ont emboité le pas. Parmi eux Pedro G. Romero mérite une mention à part. Car il a bien d’autres cordes à son arc. Hyperactif dans un nombre invraisemblable de domaines, il est « sculpteur, vidéaste, photographe, dessinateur, éditeur d’archives, poète, musicien, concepteur d’expositions ». Sous sa houlette (et celle de son ami, le musicien Raúl Refree), le flamenco est devenu expérimental, hybride, métissé, hétérodoxe et « déterritorialisé ». Citons quelques noms : Israel Galván, Rocío Márquez, Niño de Elche, Tomás de Perrate, Rosalía à ses débuts (elle s’est aujourd’hui émancipée de cette tutelle, en passe de devenir la nouvelle Madonna).
Les nouveaux flamencos ne se contentent pas d’adapter aux goûts actuels un répertoire traditionnel : depuis l’époque des cafés cantantes (vers 1860), on l’avait toujours fait. La rupture consiste à s’adapter à un nouveau statut et un nouvel espace : le statut de la création personnelle et l’espace « muséal ». Cela ne va pas sans l’adaptation des musées eux-mêmes à une nouvelle mission : au lieu de conserver un patrimoine, ils organisent des expositions. Même les plus grands (Louvre, Prado, MOMA, etc.) sont tenus de se plier à cette règle qui, à l’origine, est celle des salons, des galeries marchandes et des grandes foires d’art (FIAC, ARCO, Art Basel, etc.). Quant au statut d’œuvre personnelle, il implique que les artistes refusent désormais d’être des interprètes pour devenir des « créateurs ». Ils ne veulent donc plus, par principe, des vieux cantes. Un peu comme si une soprano rechignait à chanter l’aria de la Reine de la Nuit parce qu’elle n’a pas elle-même composé La Flûte enchantée…
Conçue par Pedro G. Romero, l’exposition La Noche española eut lieu au Reina Sofía puis au Musée d’Orsay en 2008. Elle était consacrée aux rapports entre le flamenco et les avant-gardes européennes (ballet, poésie, peinture, photographie, cinéma…) dans les années 1865-1936. Ce bilan du passé ouvrait une nouvelle étape. Car il ne suffit plus à la musique flamenca d’inspirer d’autres arts. Elle leur emprunte un nouveau régime de « visibilité » : elle « s’expose ». Non pas dans les musées au sens propre, sauf exception, mais dans toute une série d’espaces (galas, festivals, biennales, etc.) régis par la logique marchande de l’exposition.
Pedro Córdoba a enseigné dans les Universités de Toulouse-le-Mirail, Reims et Sorbonne Université. Ancien membre de la Casa de Velázquez, il a également été codirecteur du Laboratorio de Antropología de la Universidad de Granada, détaché au CNRS et à l’EHESS. Il a publié de nombreux articles sur la littérature du Siècle d’Or mais aussi sur des questions d’ethnohistoire (fêtes, légendes) et de philosophie. Aujourd’hui retraité, il est membre du Conseil de rédaction de la revue Critique (éditions de Minuit).
16h30-17h30 : Adaptations télévisuelles (présidence de séance : Hildegard Haberl)
L’adaptation audiovisuelle du roman historique d’Idelfonso Falcones a fréquemment été qualifiée de fidèle en ce sens qu’elle respecte l’esprit du roman source. Néanmoins, la fidélité de la transposition à l’écran implique une série de modifications nécessaires lors du passage d’un code sémiotique à l’autre questionnant la définition même de l’idée de fidélité. En ce sens, certaines transformations liées à l’énonciation, à la dimension spatio-temporelle ou bien encore aux personnages convoqués ne conduisent à aucune altération de l’essence de l’œuvre romanesque. Surgit alors le paradoxe d’une fidélité qui s’inscrit dans un principe de métamorphose ou de distanciation impliquant une relation hypertextuelle entre les deux médiums. Le passage du support écrit au support sériel induit, par conséquent, un répertoire de procédés spécifiques au format de l’adaptation, à sa dimension audiovisuelle et au contexte de sa réception allant de la valorisation du rôle de certains personnages à un travail sur les décors, sans oublier la mise en œuvre d’un enchaînement dynamique des étapes de l’intrigue.
Agrégée d’espagnol, Caroline Mena est enseignante en Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles et responsable de la formation MEEF espagnol à l’INSPE de Caen. Elle dispense également des cours à l’Université de Caen-Basse-Normandie. Elle est l’auteure d’une thèse intitulée L’œuvre romanesque de Gustavo Martín Garzo : une poétique de la continuité et de plusieurs articles consacrés à des auteurs espagnols contemporains tels Juan Marsé, Soldedad Puértolas, José María Merino… Une grande partie de ses recherches est consacrée aux réécritures de mythes, de récits bibliques ou de contes traditionnels et à l’exploration des techniques narratives spécifiques des auteurs étudiés.
L'impact du contenu en streaming sur les habitudes des téléspectateurs a fait l'objet de nombreuses discussions tant dans les médias que dans les cercles universitaires, qu'il s'agisse d’études contradictoires sur la popularité du binge watching, faisant de la disponibilité de l'intégralité de la fiction un critère décisif de visionnage ou au contraire réduisant l'engagement du téléspectateur, de l'omniprésence des fictions à l'écran dans un monde en prise de ce que Gilles Lipovetsky et Jean Serroy appellent « l’écran global », ou de la popularité des adaptations à l'ère de la « peak TV ». Je propose d'examiner une étude de cas spécifique pour étudier les détails de l'impact des médias en ligne sur la création de contenu et son adaptation dans différents formats.
Tales from the Loop (2020) de Prime Video offre une étude de cas particulièrement intéressante pour l'adaptation à l'ère des médias en ligne. La série s’inspire d’une série d'images créées numériquement par l'artiste suédois Simon Stalenhag qui ont d’abord été partagées en ligne, avant que la plateforme de crowdfunding Kickstarter ne les rende disponibles d'abord sous forme de livre (dans lequel il a ajouté une histoire pour contextualiser ses images de la Suède rurale des années 1970 jonchée de technologies rétrofuturistes), puis sous forme de série télévisée streaming, et enfin sous forme de jeu de société. Son adaptation au petit écran permet d'examiner les formes non narratives qui prolifèrent en ligne et la manière dont elles sont adaptées aux formats narratifs plus traditionnellement (comme la série télévisée) ; ce faisant, Tales from the Loop offre une représentation contemporaine de la manière dont les créateurs s'attaquent à la relation entre les arts temporels et visuels définis par Lessing dans Laocoon, et la manière dont ils entrent en collision dans les médias audiovisuels, et plus particulièrement dans la télévision streaming.
Shannon Wells-Lassagne est professeure à l’Université de Bourgogne, où elle enseigne le cinema et les séries télévisées. Elle est l’auteure de Television and Serial Adaptation (Routledge), et co-éditrice d’Adapting Margaret Atwood: The Handmaid’s Tale and Beyond (Palgrave), Adaptation and Illustration (Palgrave, sous presse), Adapting Endings from Book to Screen (Routledge), Screening Text (McFarland), Premières pages, premiers plans (Mare et Martin) et De la page blanche aux salles obscures (PU Rennes), ainsi que de numéros spéciaux des revues TV/Series, The Journal of Screenwriting, Interfaces, Cahiers du GRAAT, Series, et Screen (dossier).
samedi
9h-10h30 : Réécritures et reprises de personnages (Présidence de séance : Armelle Parey)
Les ré-écritures contemporaines des textes antiques sont un phénomène culturel très présent dans le monde occidental. Ainsi par exemple en France le dernier numéro de la revue Critique, « Neuf comme l’antique. La Grèce ancienne au présent » (n°910, 2023), y est-il consacré. Dans The Song of Achilles (2011), l’américaine Madeline Miller entreprend pour sa part de réécrire l’Iliade et les poèmes du cycle homérique, au poids culturel indubitable, en les faisant raconter à la première personne par Patrocle, personnage relativement secondaire de l’hypotexte, qui va ainsi donner au lecteur une nouvelle perspective sur les événements. De la même manière, dans The Silence of the Girls (2018), la britannique Pat Barker reprend les mêmes textes, en prenant pour narratrice Briséis, l’esclave d’Achille dont l’appropriation par Agamemnon entraîne la colère du fils de Pelée, point de départ de l’Iliade, et en présentant ainsi une autre version des mêmes événements. Cette démarche narrative bien documentée est typique des réécritures contemporaines des classiques, notamment par les auteurs « néo-victoriens » britanniques, qui veulent faire entendre des voix marginalisées dans la littérature victorienne. Miller et Barker utilisent cette technique pour faire parler et mettre en lumière ceux et celles qui sont restés dans l’ombre du texte source. Ainsi Miller met en exergue la relation homoérotique entre Achille et Patrocle, qui avait d’ailleurs été fréquemment discutée dans l’Antiquité (Phèdre dans le Banquet de Platon argumente sur la nature exacte de cette relation homosexuelle) mais par la suite plus ou moins occultée par les auteurs chrétiens. D’une certaine manière, l’importance accordée à l’histoire d’amour entre les deux jeunes gens et l’humanité de Patrocle directement confronté aux horreurs de la guerre transforment la lecture du texte source. Barker quant à elle vise à donner la parole aux « filles » (The Silence of the Girls) captives, aux victimes oubliées de cette guerre entre hommes. Briséis est leur porte-parole et raconte leur vie quotidienne dans le camp des Grecs, là où par exemple Euripide dans Les Troyennes (vers -415) mettait en scène le destin terrible et pathétique de trois femmes emblématiques (Hécube, Andromaque et Cassandre) après la chute de Troie et dénonçait déjà la cruauté des vainqueurs. Ces deux ré-écritures révisionnistes contemporaines de l’Iliade posent cependant questions, notamment celle de la pertinence de leur approche considérée par certaines critiques comme anachronique et même démagogique, visant à satisfaire avant tout les attentes du lectorat du XXIème siècle. Ce sont ces interrogations auxquelles je tenterai de répondre, après avoir exposé les enjeux de ces deux adaptations.
Isabelle Roblin est Maître de Conférences émérite à l'Université du Littoral-Côte d'Opale. Son champ de recherche récent est celui des études néo-victoriennes, et plus généralement des adaptations/révisions littéraires et cinématographiques de romans. Elle a notamment publié Harold Pinter : la liberté artistique et ses limites. Approches des scénarios, un ouvrage sur les scénarios de Harold Pinter adaptés d'oeuvres littéraires, ainsi qu'un grand nombre d'articles sur le sujet.
Créature des eaux à la recherche de l’amour éternel, une ondine, ou un ondin, est une figure issue de la mythologie nordique très populaire dans les pays germaniques où elle connaît plusieurs avatars, dont la Lorelei. Avec l’auteur romantique Frédéric de la Motte-Fouqué (1777-1843) le nom commun devient nom propre et fait son entrée en littérature. Ondine exige de l’homme qui l’aime le respect d’un pacte de fidélité et pourra ainsi rester parmi les humains. Si le pacte est rompu, les conséquences peuvent être mortelles pour l’homme ainsi que pour elle-même.
Dans son film éponyme, le réalisateur allemand Christian Petzold (né en 1965), souvent considéré comme le chef de file de la nouvelle vague allemande ou l’École de Berlin, propose une relecture de ce mythe énigmatique en transférant le décor dans le Berlin contemporain, fusionnant ainsi conte, mythe et cinéma. Entre de la Motte-Fouqué et Petzold deux autres auteurs importants ont également développé des variations autour de ce mythe : Jean Giraudoux (1882-1944) l’adapte pour le théâtre dans sa pièce intitulée Ondine (1939) tandis que l’écrivaine autrichienne Ingeborg Bachmann, dans un court texte en prose très lyrique intitulé Ondine s’en va, donne au personnage une voix et une réflexivité nouvelle.
Dans cette communication, nous présenterons ces différentes adaptations du mythe d’Ondine en montrant comment elles sont façonnées par les différents supports artistiques : quels invariants, quelles libertés sur le plan de la narration, des personnages, des lieux et pour le genre artistique lui-même ? Nous analyserons ensuite l’évolution de la figure féminine à travers deux siècles en insistant particulièrement sur son rapport au pacte qui la lie aux hommes et la mise en scène du jeu entre monde réel et monde fantastique. L’élément aquatique, enfin, objet d’attirance et de répulsion pour l’être humain depuis toujours et qui redevient dans le monde contemporain un élément d’attention et de convoitise, sera examiné sous l’angle de son adaptation au fil des œuvres étudiées.
Hildegard Haberl est Maîtresse de conférences au département d’études germaniques de l’Université de Caen Normandie depuis 2011. Directrice de ce département depuis 2020, elle co-anime le séminaire de recherche « Espaces imaginés – espaces à protéger : nature/esthétique/écologie » au sein du laboratoire de recherche ERLIS (UR 4254). Elle est l’auteure d’une thèse sur « Écriture encyclopédique – écriture romanesque. Représentations et critique du savoir dans le roman allemand et français de Goethe à Flaubert ». Situé dans le champ de l’épistémocritique, son travail au croisement de la littérature et de l’histoire des idées enquête sur l’utilisation des savoirs dans le texte littéraire. Ses dernières publications portent plus particulièrement sur la représentation du jardin dans le texte littéraire ainsi que sur l’histoire des jardins dans les pays germanophones.
Professeur agrégé d’allemand en classe préparatoire littéraire, Pascale Van Praet a soutenu un doctorat en linguistique allemande et générale française sur les verbes réflexifs allemands en 2009. Ses recherches ont depuis porté sur des domaines variés : évolution de l’emploi du verbe brauchen en allemand vers un emploi modal dans une perspective syntaxique et synchronique, présentation de la construction de l’expérience à travers le mémoire de master chez les élèves professeurs dans une perspective didactique, étude de la mélancholie dans une œuvre littéraire iconique de l’Ex-RDA dans une perspective littéraire.
Le Petit Chaperon rouge a depuis longtemps quitté son statut de simple personnage littéraire pour devenir une véritable figure mythique. Le conte issu de la tradition orale existe en diverses versions et ne cesse d’être reproduit et réinterprété. Les auteurs actuels suédois choisissent généralement comme hypotexte la version la plus connue, celle des frères Grimm, plus édulcorée que les versions antérieures et donc plus adaptée à un lectorat jeune. La protagoniste y est passive et subit l’attaque du loup avant d’être sauvée par le chasseur, telle une princesse en détresse. Le loup, lui, est plus ou moins cruel selon les versions anciennes, mais reste méchant. En littérature de jeunesse actuelle, l’adaptation de ce récit peut être artistique, ludique et humoristique, mais permet toujours une analyse sociale et un questionnement existentialiste.
A travers un corpus suédois d’albums pour enfants, cette communication se propose d’analyser comment le conte réécrit peut parler aux enfants de différents âges aujourd’hui. Le corpus comporte également un roman pour jeunes adultes. C’est en effet l’adolescence qui correspond le mieux au contenu du conte traditionnel si l’on prend en compte l’aspect de la découverte de la sexualité. Que gardent donc les auteurs du corpus de l’hypotexte et par quels moyens dialoguent-ils avec lui ? La littérature pour enfants capte rapidement les nouvelles tendances de la société et réagit en reflétant les débats. Comment les normes et valeurs actuelles, notamment concernant le genre et l’écologie, influencent-elles les livres ? Quel est le portait d’un Petit Chaperon Rouge moderne (enfant ou adolescente) et quel rôle le loup peut-il encore jouer ? Nous analyserons également ce que les couvertures annoncent à propos du contenu, ainsi que les illustrations qui portent une grande partie de la narration dans le format court et en apparence simple de l’album.
Annelie Jarl Iremanest maître de conférences au département d’études nordiques à l’Université de Caen Normandie et membre de l’équipe ERLIS, où elle est co-directrice de la thématique structurante « Représentations et modèles culturels : circulations, échanges et traductions » et responsable du programme « Figures emblématiques, mythiques et légendaires dans les cultures contemporaines : récits du passé et réinterprétations ». Ses publications traitent de la littérature et de la culture scandinaves des XIXe, XXe et XXIe siècles. Elle s’intéresse notamment au discours narratif et aux questions d’identité dans la littérature de jeunesse, ainsi qu’au folklore et à la réutilisation de figures mythiques nordiques dans la littérature et la culture populaire actuelles.
11h-12h : Vers le roman (présidence de séance : Annelie Jarl Ireman)
En 2013, la maison d’édition Hogarth Press lance un projet ambitieux d’adaptation des pièces de Shakespeare en version romanesque. Le but est que trois années plus tard, à l’occasion du 400ème anniversaire de la mort du dramaturge, un ensemble d’écrivains anglo-saxons renommés en aient produit une nouvelle version. La tâche est risquée si l’on conçoit que le répertoire shakespearien est avant tout destiné à la scène et que, depuis le 20ème siècle, de nombreuses adaptations sont soit des réécritures théâtrales conçues par de grands auteurs internationaux (Barker, Bond, Müller, Stoppard, Bene, Chaurette, Py, Durif, et bien d’autres), soit des scénarii destinés au 7ème Art. Le propre de ce répertoire est en effet d’inclure le jeu d’acteur, le visuel du décor et l’action en direct, des éléments que le roman n’expose, quant à lui, que dans l’acte intime, solitaire et silencieux de la lecture.
La première à se lancer dans l’aventure Hogarth est Jeannette Winterson qui baptise sa version du Conte d’hiver (avec lequel elle dit nouer un rapport particulier depuis le début de sa carrière) The Gap of Time (2015). Restructurant l’intrigue originale en bouleversant l’ordre des épisodes, elle parvient à donner un sens pleinement contemporain à cette œuvre dite « problématique » où le surnaturel se mêle aux questions de mœurs. Le défi de l’adaptation romanesque est donc a priori réussi si l’on en croit les critiques ; les « cover versions » de La Mégère apprivoisée, La Tempête, Le Marchand de Venise, Macbeth, Le Roi Lear, Othello et Hamlet sont respectivement programmées.
Certaines de ces pièces—comme Hamlet que Gillian Flynn devait composer—ne verront cependant jamais le jour. Et au sein des 37 pièces attribuées au dramaturge élisabéthain, moins de dix seront produites, parfois bien après la date anniversaire, car rattrapées par d’autres formes de réécritures, notamment en littérature jeunesse, mangas et pour le petit écran.
Néanmoins, l’analyse de ces réécritures présente un intérêt indéniable auprès des Shakespeariens au 21ème siècle car ces dernières années, nous abordons souvent l’œuvre-source par le prisme de ses réinventions, y trouvant des clefs de lecture novatrices susceptibles de révéler des sens jusqu’alors cachés. Des auteurs comme Linda Huntcheon, Margaret Jane Kidnie, Sujata Iyengar, Julie Sanders ou Alan C. Dessen parmi d’autres, ont ainsi proposé des approches théoriques et des grilles de lecture nous permettant de renouveler notre compréhension de cette œuvre.
Dans cette communication, en m’appuyant sur quelques-uns des romans de la série « Hogath Shakespeare », je me propose de revenir sur les atouts et les revers de cette forme d’adaptation et, à l’aune des apports théoriques auxquels il est fait allusion ci-dessus, d’en questionner les enjeux futurs.
Estelle Rivier-Arnaud est agrégée d’anglais, professeur à l’Université Grenoble-Alpes. Son travail traite principalement de la mise en scène des pièces de Shakespeare sur les scènes française et anglaise aux 20ème et 21ème siècles à laquelle elle a consacré ouvrages et articles. Dans le cadre de sa délégation au CNRS en 2021-22, elle a concentré sa recherche sur l’étude des processus d’adaptation des œuvres de la première modernité (en France et en Angleterre principalement) ces vingt dernières années et programme la publication d’un ouvrage intitulé La Réinvention de Hamlet. Étude des processus d’adaptation textuelle et scénique. Parmi ses publications récentes en lien avec le sujet : Rewriting Shakespeare for and by the Contemporary Stage (CSP 2017); Romeo and Juliet, From Page to Image / Roméo et Juliette, de la page à l’image (Shakespeare en devenir 2019); Of Seas and Oceans, Of Storms and Wreckage, of Water Battles and Love in Shakespeare’s Plays (Representations dans le monde Anglophone 2020), Les Mises en je(u) de Hamlet (Presses universitaires de Nanterre 2023).
En 2015, l’écrivaine mexicaine Valeria Luiselli, installée aux États Unis, travaillait comme interprète d’enfants migrants mexicains et centroaméricains auprès de la Cour Fédérale d’Immigration à New York. Elle devait les soumettre un questionnaire dont les réponses pouvaient être déterminantes pour que ces enfants acquièrent le statut de réfugiés ou, sinon, soient expulsés. De cette expérience naît l’essai Los niños perdidos (un ensayo en cuarenta preguntas). A la dimension foncièrement hybride du genre essai (le « centaure de la prose » selon Alfonso Reyes) s’ajoutent l’adaptation et transformation d’un texte administratif (le questionnaire). Ce questionnaire et les réponses des enfants ont suscité nombre de questionnements chez l’écrivaine. Mais le besoin de raconter l’histoire des enfants prend corps dans un autre texte, le roman Desierto Sonoro (2019), initialement écrit en anglais puis traduit en espagnol par Luiselli elle-même et Daniel Saldaña París.
Le personnage principal, double de l’auteure, son mari (tous les deux documentalistes) et leurs enfants (chacun le sien, issus d’un mariage précédent) réalisent un périple en voiture à travers les États-Unis. Au volant, le mari court derrière les traces des guerriers amérindiens ; elle, à côté, elle enquête sur des enfants migrants disparus. A l’arrière de la voiture, les deux enfants, dont les voix et les perceptions du monde sont omniprésentes dans la diégèse. Et dans le coffre de la voiture, des boîtes à archives ; chacun la sienne. Celles des parents contiennent des dossiers et des livres, tels des effets personnels, dont la lecture ponctue également la diégèse et dont le contenu tente d’éclairer l’expérience des adultes et des enfants (y compris celle des enfants disparus).
Desierto Sonoro est donc le produit d’un processus d’adaptations multiples, d’un jeu entre fiction et diction consistant en un recyclage et en un élargissement. Il serait pertinent de déceler les mécanismes de « littératurisation » dans ce processus complexe, par lequel l’écrivaine puise à la recherche de réponses aux questionnements surgis de son expérience.
L’écriture de Luiselli, comme celle d’autres écrivains essayistes, invite à mener une réflexion sur le caractère dialogique de la littérature. La notion de bibliothèque virtuelle (Bayard) comme lieu d’interaction et comme projection subjective de nos lectures incite à réfléchir sur les moyens d’expression dans lesquels se cristallise la communication ou le dialogue autour des livres. Le roman met en place un dialogue secret autour de la littérature et la lecture, par lequel celles-ci contribuent, non pas à comprendre, mais à nous situer dans notre présent ; en somme à nous adapter à ce qui (nous) arrive.
Margarita Remón-Raillard a été Maîtresse de Conférences à l’Université Grenoble-Alpes pendant plus de vingt ans. Elle est maintenant Professeure de Littérature et Culture de l’Amérique Latine et membre du laboratoire LASLAR à l’Université de Caen Normandie. Son domaine de recherche est la littérature mexicaine contemporaine, autour de trois axes : littérature et science sociales (représentation de la violence, migrations et frontières), genres littéraires de l’insolite (fantastique, science-fiction) et formes littéraires hybrides (essai, chronique, « twittérature »…). Elle vient de publier l’ouvrage : Territorios de la ciencia ficción mexicana (1984-2012). Por una poética y una política de lo insólito literario(Peter Lang, Bruxelles, 2022).
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